Commémorée depuis fin 2013 par les gouvernements, les médias, le monde éducatif, les musées et les milieux de l´édition, la Grande Guerre est l´objet de relectures dans bien des domaines des sciences humaines, comme le démontre notamment l´ouvrage „Les Somnambules. Eté 1914: comment l‘Europe a marché vers la guerre“, de l’historien australien Christopher Clark, remettant le contexte balkanique, l´échec de la diplomatie française et russe, et l´assassinat de pacifistes influents dont Jean Jaurès, aux sources du déclenchement du conflit.
Au cinéma, si „À l´Ouest, rien de nouveau“ (1930) de Lewis Milestone, d´après le roman d´Erich Maria Remarque (1929), „La grande illusion“ de Jean Renoir (1937) ou encore „Les sentiers de la gloire“ (1957), de Stanley Kubrick, ont marqué la conscience collective, des productions plus récentes, sans doute moins mémorables, telles „Un long dimanche de fiançailles“ de Jean-Pierre Jeunet (2004) ou „Joyeux Noël“ de Christian Carion (2005), ont commencé à poser les jalons d´une nouvelle perspective sur ce conflit, celle de l´humain, de ses émotions, approche libérée des poncifs très héroïques et combattifs d´une masculinité canonique.
Bien loin de fraternisations entre lignes ennemies un soir de fête, ou de fiancée sucrée refusant l´annonce du faire-part funèbre, l´expérience armée, surtout celle des tranchées, a en effet longtemps constitué le seul matériau brut du récit de la Grande Guerre, porté par les valeurs de dignité, de sacrifice, d´engagement et de fraternité. Par pudeur pour les combattants rescapés et en dialogue avec la propagande du discours nationaliste officiel, la nécessité de vraisemblance historique, la parole du témoignage guerrier s´était imposée face à toute velléité fictionnelle et aux hors-champs de batailles.
Puis peu à peu, dans un contexte de construction de l´Europe, de la réconciliation franco-allemande et du rapprochement des peuples européens, de nouveaux sujets ont été explorés par la recherche historique, comme les violences commises sur les populations civiles: les exactions, les migrations, la famine, etc. Aux dix à onze millions de morts et de disparus, aux millions de blessés, aux séquelles physiques et psychiques, s´ajoutent douze millions de réfugiés, les civils enrôlés, – dont les munitionnettes-, les orphelins, les veuves, etc.
La colorisation des archives documentaires, présentée notamment par la BBC, a été un autre pas vers cette „individuation“ du récit historique: la frontière du noir et blanc disparaissant, les protagonistes des tranchées, les défilés et visites de haut-gradés sont entrés soudainement dans notre espace contemporain. De quoi nous rappeler que l´onde de choc de la Première Guerre mondiale a frappé la très grande majorité des familles européennes, et qu´elle nous touche dans notre chair, à quelques générations.
S´inscrivant dans ce nouveau courant, la docufiction „Des Armes et des mots“ (14 Tagebücher), une coproduction franco-germano-canadienne de 2014 (Les Films d’Ici, Arte, SWR, NDR, WDR, Looks Films et Filmoption International de Montréal), met en scène quatorze destins: sept hommes et sept femmes, enfants et adultes, de France, d´Australie, d´Italie, de l´Empire allemand, de la Monarchie austro-hongroise, de Grande-Bretagne et de l´Empire russe. Accompagné par une voix off rapportant l´anatomie historique du désastre, comme les progrès des sociétés fauchés par la guerre, ce biopic met en images les propres mots, les propres sentiments de ces personnes ayant survécu à ces 4 années noires: ce sont en effet leur journal intime qui ont constitué la base du scénario.
Car les journaux de tranchées rédigés par les soldats n´ont pas été l´unique source des témoignages écrits individuels: en dehors des cartes postales et des lettres envoyées entre lignes de front, hôpitaux, camps de prisonniers et foyers, dispersées aujourd´hui entre collections muséales, brocantes et greniers, nombreux ont été les civils à tenir un journal intime, dès le premier jour de la mobilisation générale.
Même si l´on peut déplorer quelques longueurs et redites quant aux descriptions des combats, et que certains thèmes ne soient que trop brièvement abordés (comme la participation des colonies), on ne peut que féliciter cette production internationale, réalisée par Jan Peter, traitant le travail de mémoire d´un point de vue interculturel, générationnel et replaçant les femmes au cœur du récit historique de cette guerre. La toile de fond, tissée des photographies et de films, officiels et amateurs, de 71 archives issues de 21 pays différents, en fait à elle seule un document d´une qualité exceptionnelle.
1 Comment
[…] Article paru sur DARE – Magazin für Kunst und Überdies, le jeudi 29 mai 2014 […]